UDC: 78.031.3(6) COBISS.SR-ID 258613772
Received: Nov 13, 2017/
Reviewed: Jan 3, 2018/
Accepted: Jan 10, 2018
La Musique, les mythes et les interdits
comment les Lobi protègent leur environnement
(Music, Myths and Rituals: Traditional Societies of
African Lobi Peoples and Environmental Issues )
Hien Sié
Musicologue, Université Félix Houphouët-Boigny-Abidjan, Côte-d’Ivoire, Afrique
[email protected]
Musicologue, Université Félix Houphouët-Boigny-Abidjan, Côte-d’Ivoire, Afrique
[email protected]
Citation:
Sié, Hien. 2018. "La Musique, les mythes et les interdits : comment les Lobi protègent leur environnement." Accelerando Belgrade Journal of Music and Dance 3:5 [In French] |
Abstract
The practice of music in societies with oral tradition, in general, and particularly in black Africa, was rooted in the mythological beliefs, concerning the body of myth stories retold among people in those societies and interdictions/taboos and totems, which do not have grounds in logic and reason, that attempt to explain the nature of the human beings and their surrounding. Being the crucial elements that structure and regulate all sphres of life, as well as the manifestations and consequences of religious beliefs, those were the attempts to describe and explain the origins and fundamenatal values of a given culture and /or religious considerations of the people in the given society. If those extra-musical features were influential and inspiring enough, then that made it possible to establish the relations, i. e. the allusions to mythology and rituals which could be expressed in the music. When thinking about this particular fact, then it must be allowed that the music is likely to provide a primary document for understanding the sysems of thoughts and for teaching us lessons on certain facets of the life of those societies/ cultures. In particular, it can be used as a means to learn about their relationship to the environmental, natural occurances and the humanity, the fact the researchers have not been sufficiently focused on when research about the music. This research aims to reflect on how well musical art has contributed to addressing that goal, namely, based on the concrete examples drawn from the music of Lobi peoples/tribes, the author is trying to shine a light on how these peoples, consciously or instictively, convey an often complex set of problems, and communicate with an immediacy and universality that often sit outside of common language, particularly the environmental problems they encounter in their existence.
Keywords: music, myths, taboos and totems, environment, Lobi people. Résumé: La pratique de la musique dans les sociétés de tradition orale, en général, et particulièrement en Afrique noire, est entourée de divers mythes et interdits dont les fondements et raisons relèvent souvent des considérations d’ordre culturel et/ou religieux des peuples. Si ces dimensions extra musicales permettent d’établir les relations que chaque peuple entretient avec ses musiques, il n’en demeure pas moins qu’elles sont susceptibles de fournir des enseignements sur certaines facettes de la vie de ces peuples, notamment leur relation à l’environnement, que les recherches n’ont guère suffisamment abordé sur le terrain musical. Cette communication est une réflexion qui vise, à partir d’exemples concrets tirés de l’art musical lobi, à montrer comment ce peuple règle, de façon consciente ou tacite, les problèmes environnementaux qu’il rencontre dans son existence. Mots-clés: musique, mythes, interdits, environnement, Peuple Lobi. |
Introduction
La musique, produit de société est surtout un art environnemental. L’Homme puise dans son environnement immédiat et souvent lointain les matériaux et ressources nécessaires à la production musicale, d’où la diversité de comportements musicaux que l’on constate à travers le monde. En Afrique, cette réalité se veut caractéristique de la vie musicale des différents peuples. Et si la plupart des chercheurs qui s’intéressent au domaine musical, en se fondant sur les diversités géographiques n’hésitent pas à classer la musique de ce continent par rapport aux spécificités géo spatiales des peuples du continent, c’est que l’environnement est devenu un élément, voire un indicateur de l’identité des musiques. Et ce n’est pas par hasard que certains travaux sur la musique africaine insistent sur la démarcation entre par exemple la musique de l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, entre l’Afrique centrale et de l’est, entre l’Afrique de l’est et australe, quand ils évoquent la musique de l’Afrique noire. De même, la distinction entre la musique au sud du Sahara et celle du Maghreb répond à ce souci de prise en compte de la dimension environnementale dans la création et consommation de la musique africaine.
De ce qui précède, on peut constater que l’être humain étant en étroite relation avec son environnement, toute modification ou altération de ce dernier ne peut qu’avoir des incidences sur le comportement de l’homme. En clair, l’Homme en tant qu’acteur transformateur, destructeur ou développeur de l’environnement agit de facto sur les attributs et les effets que son environnement immédiat lui offre pour sa vie. Qu’elles soient positives ou négatives les actions de l’Homme sur l’environnement influent sur la vie musicale des peuples. Il est donc nécessaire de se saisir de cette question de l’environnement pour mener des réflexions sur les rapports de l’homme à l’environnement pour voir comment les producteurs et acteurs musicaux dans nos différentes sociétés traditionnelles pensent et réorganisent leur vie artistique voire musicale en tenant compte de la problématique de l’environnement dont les conséquences semblent exposer l’Humain à des limites irréversibles. C’est dans cette perspective de compréhension des moyens que s’offre l’Homme pour continuer à bénéficier des privilèges de l’environnement au sens générique du terme, que nous avons décidé d’observer de près le comportement musical d’un peuple, les Lobi, pour voir si cette question les préoccupe, mais surtout comment ils la résolvent. La communauté Lobi, à l’instar de nombre de sociétés africaines, étant moins bavarde sur le contenu et la théorie qui sous-tendent ses pratiques musicales, on ne s’attendra pas à avoir des réponses, voire des vérités données par les acteurs eux-mêmes. Nous questionnerons certains comportements socioculturels et religieux observés dans la pratique musicale de ce peuple et essayerons d’en tirer des conclusions en regard de la problématique de l’environnement qui nous intéresse ici. Pour nous, le rapport dialectique que ce peuple établit entre la musique et son univers d’existence, peut être une contribution à la protection de l’environnement. En effet, les mythes et les interdits sont légions dans l’art musical lobi. Et si l’on peut penser que l’objectif premier visé par les défenseurs de ces valeurs n’est pas la protection ou la sauvegarde de leur environnement, des arguments tendant à leur conférer un véritable impact sur la pérennisation de l’environnement dans lequel ce peuple vit semblent plausibles. La réflexion que nous menons ici est le résultat d’une observation participante mais aussi d’une série de questionnements sur la musique lobi. Elle se veut une contribution à la compréhension des valeurs tacites qui se dégagent de l’analyse de la relation musique et environnement au sein de cette communauté, comparable à celle de bien d’autres sociétés traditionnelles en Afrique. En s’inscrivant dans les perspectives de l’Unesco citées par M. P. Ballarin, et S. Blanchy (2016, 11) sur les savoirs écologiques et les modes de gestion de l’environnement, il semble possible de trouver matière à justification des nombreux interdits et mythes que l’on rencontre dans la musique lobi. Clarification des concepts clés
La Musique
Selon Fela Sowande (1970, 60) qui définit la musique traditionnelle africaine en ces termes: «La musique est l’organisation du son, matériau brut, en systèmes structurés et codifiés qui parlent et plaisent à l’ensemble de la société dans laquelle cette structuration a eu lieu; systèmes qui concernent directement et intimement l’image du monde de l’expérience vécue de cette société considérée comme un ensemble homogène, et qui sont acceptés comme tels par cette société». Christophe Wondji (1986, 11), quant à lui estime qu’en Afrique, la chanson est à la fois littérature et musique, parole et danse, discours et rythme, pensée et expression corporelle. Développant son idée sur les dimensions de la chanson et donc de la musique en général, dans la société africaine, Wondji va hisser la chanson au rang des médias les plus sûrs de connaissance des peuples africains. Car «elle témoigne des préoccupations, des idées et sentiments en cours dans la société». En clair, la musique reflète la vie de nos peuples. Cette idée sera d’ailleurs corroborée par François Bensignor (2005, 125-134) qui affirme que «La musique joue un rôle déterminant dans les civilisations africaines où l’oralité fait figure de pilier fondateur. Héritiers de traditions souvent très raffinées, les musiciens africains créateurs d’aujourd’hui sont de ce fait parmi les détenteurs d’éléments essentiels constitutifs de leurs cultures respectives». Parmi ces éléments constitutifs de la culture africaine, on trouve en position centrale, les mythes et les interdits.
Les mythes
Concept polysémique, le mythe peut être abordé sous diverses acceptions. En littérature, Egbuna Modum (1977), citant Andre Dabezies („In mythe comme forme de l‘imaginaire“) précise que celui-ci: que le mythe est récit qui a pris valeur de symbole pour une collectivité donnée, c’est-à-dire, un récit qui a assuré une valeur mythique; qu’en littérature le mythe est délié de tout rite, ce qui fait que le mythe littéraire est par définition un mythe repensé individuellement; que toutes les versions du mythe en littérature ne sont pas a priori égales: elles sont en effet plus ou moins privilégiées selon la profondeur de l’émotion éprouvée par le poète Malgré cette définition, Egbuno, pense: au contraire, qu’il a acquis désormais un sens plus positif, se présentant comme ce qui ‘’fournit des modèles pour la communauté humaine et confère par là même, signification et valeur à l’existence’’.(Ibid.) Pour Luc Benoist (2004, 100-101) le mythe se caractérise par sa polysémie et la multiplicité de ses applications. Mythe et rite sont en effet les expressions complémentaires d’une même destinée, le rituel étant son aspect liturgique et le mythe sa réalisation à travers les épisodes d’une histoire vécue. Toute activité humaine essentielle et qui répond à des besoins devient ainsi thématique et itérative. Le mythe se présente comme un exemple logique d’action, de passion ou de spiritualité, dont les buts poursuivis permettent de distinguer les trois voies de réalisation métaphysique que sont l’action, l’amour et la connaissance(…) Dans tous les cas, la logique des mythes est dominée par une mentalité archaïque qui persiste dans l’attitude et la conscience des civilisés, heureux de pouvoir projeter leurs espoirs, leurs craintes ou leurs passions dans le personne d’un héros. Les interdits Laura Levi Makarius (1974, 10) estime que Le système d'interdits mis en place dans les sociétés tribales par la médiation des représentations subjectives de leurs membres fournit, sur le plan objectif, la réglementation nécessaire à assurer la cohésion sociale. En vertu de la dialectique même de son développement, il engendre son contraire, la violation d'interdit qui s'imposera à la pratique quand les avantages qu'elle promet pèseront d'un poids plus lourd que les dangers qu'elle représente. Elle ne peut être le fait de l'ensemble des membres de la société sans que le système d'interdits et par voie de conséquence l'ordre qu'il soutient, ne s'effondrent, entraînant la dispersion du groupe. Elle doit être l'acte exceptionnel accompli par un individu ou un nombre restreint d'individus qui, par cela, deviennent eux-mêmes exceptionnels. Sur les interdits dans la société lobi Amazone (Faso culture: Totems et interdits en pays lobi. 17, Février 2017.) nous précise que, Comme dans la plupart des sociétés africaines, les totems et les interdits font partie des éléments fondamentaux qui structurent et régulent toutes les sphères de la vie, dans la société traditionnelle Lobi. Ils sont les manifestations ou les conséquences d’une croyance religieuse, celle de la religion traditionnelle Lobi. L’environnement Selon Les définitions, «L’environnement est un système formé par des éléments naturels et artificiels interdépendants, lesquels ont tendance à être modifiés par l’action humaine. Il s’agit du milieu qui conditionne le mode de vie de la société et qui englobe les valeurs naturelles, sociales et culturelles qui existent dans un lieu et à un moment donné. Les êtres vivants, le sol, l’eau, l’air, les objets physiques fabriqués par l’homme et les éléments symboliques (tels que les traditions, par exemple) composent l’environnement. La préservation de l’environnement est primordiale pour le développement durable des générations actuelles et celles de l’avenir. Il y a lieu de mentionner que l’environnement renferme des facteurs physiques (tels que le climat et la géologie), biologiques (la population humaine, la flore, la faune, l’eau) et socio-économiques (le travail, l’urbanisation, les conflits sociaux)» (lesdefinitions.fr/environnement). Akila Nedjar-Guir (2005) dans son article intitulé „L’environnement, une notion polysémique“ , en donne les précisions suivantes: Le terme environnement regroupe une telle multitude de significations qu’il est difficile de l’aborder sous une unique facette. S’il désignait au début du siècle le milieu naturel pour les biologistes, il a profondément évolué, et ce depuis les années 50, période à partir de laquelle les sciences naturelles ont accepté le paradigme des sociétés dans la notion d’écosystème. Les travaux de recherche sur les forêts sacrés, bois sacrés et les sites naturels qui ont fait l’objet du Journal des Africanistes Tome 86 de 2016 s’appuient sur la relation entre ces entités spécifiques et l’environnement dans les sociétés traditionnelles. Environnement entendu ici au sens de patrimoine socio-politique, religieux et culturels qui permet entre autres de retracer l’histoire des migrations humaines, car elles sont des lieux de conservation de la mémoire collective», aux dires de Marie-Pierre Ballarin et Sophie Blanchy (2016, 12). Le respect des communautés traditionnelles pour cet environnement relèverait d’une organisation symbolique des relations de l’homme au monde. D’où «l’existence des interdits qui sont généralement associés à un culte adressé aux ancêtres ou à d’autres entités invisibles, règlementant l’accès aux formations végétales et en font des lieux exceptés.», affirment toujours, Marie-Pierre Ballarin et Sophie Blanchy (Idem., 13). Présentation du peuple Lobi
''Les Lobi occupent un espace d’environ 13 000 km2, aux confins des républiques de Côte-d’Ivoire, du Burkina Faso et du Ghana. Au Burkina Faso, ils constituent environ plus de la moitié des 617 861 habitants que compte la région Sud-Ouest. Ils sont surtout concentrés dans les provinces du Poni et du Noumbiel. Toutefois, on les trouve aussi à l’extrémité méridionale de la province de la Bougouriba (Tiankoura, Iolonioro). Les Lobi ont pour voisins les Birifor, Dagara, Gan, Djan, Pougouli. Ils quittèrent le Ghana à la fin du XIXe siècle pour émigrer vers l’actuel Burkina Faso après avoir traversé le fleuve Miir (Mouhoun). Ils se sont divisés en deux groupes : les Lobi de la plaine (pabulodara) et ceux de la montagne (gongondara), en raison des collines qui avoisinent cette région (Père 1988, 55, cited in Yamba 2008). Bien qu’étant de redoutables guerriers, ce n’est pas toujours à mains armées qu’ils occupèrent les régions aurifères qui avoisinent Gaoua (nom dérivé de Gahuèra : route des Gan), localité où étaient déjà installés les Gan dont le territoire s’étendait de Gaoua à leur emplacement actuel (Loropéni, Obiré). Puis, cette migration s’est poursuivie du Burkina vers la Côte-d’Ivoire où ils repoussèrent, plus au sud encore, les Koulango auparavant installés à Bouna. Retenons que certaines collines et grottes ainsi que des bosquets ou ruisseaux sont, au sein de cette population, l’objet d’interdits divers et des lieux sacrés (nosopar). En tant qu’espaces votifs, ils sont fréquentés momentanément par le groupe des initiés. Par exemple, l’immersion dans les eaux du fleuve Poni au cours des moments de dévotion est interprétée par les Lobi comme une séance de purification. Au cours des cérémonies funéraires, les veuves ou veufs subissent cette épreuve qui marque la fin du deuil. La parenté chez les Lobi n’a pas seulement une connotation biologique mais elle est surtout sociale. Cette société est constituée des principaux matriclans suivants, appelés caar : Hien, Kambou, Da, Palé, Som. Chacun de ces matriclans possède des sous-matriclans dont le nombre peut atteindre la centaine. Les membres des différents matriclans entretiennent entre eux des relations d’alliance, d’entraide, de plaisanterie, de coopération mutuelle et de solidarité qui déterminent la vie sociale. La structure politique de la société lobi est dite acéphale. Toutefois, l’autorité y est assurée par des instances d’intervention diversifiées.'' (Yamba 2008). Ces clarifications faites, comment les mythes et interdits s’établissent-ils dans la musique lobi?
Les interdits et les mythes dans la musique lobi
Nous nous appuierons sur la musique de l’instrument identitaire des Lobi, le xylophone yolon bo (Figure 1), pour voir comment ces mythes et interdits se manifestent au sein de cette communauté dont la vie musicale est multiforme.
Au niveau de la flore Le choix de l’arbre et son abattage. Les informations recueillies disent que le djiè, l’arbre utilisé pour la fabrication du yolon bo, le balafon des Lobi, ne peut être abattu que si l’on a la certitude qu’il mort, il y a environ une dizaine d’année et que si en plus, les génies en ont donné l’autorisation. Par ailleurs, cet arbre est interdit dans divers clans lobi comme bois de chauffe à usage donc familial. Au niveau socioculturel Le biir, genre musical très prisé par les Lobi est interdit pendant quelques mois de l’année et pendant l’initiation au djoro. Le djoro, genre musical sacré: son exécution du djoro est exclusivement réservée à la sortie des néophytes et aux funérailles d’un initié. D’ailleurs, lorsque cette musique est pratiquée, les non-initiés sont obligés de se tenir à l’écart. Le mythe du yolon bo: principal instrument des Lobi, on lui voue un culte presque divin. Propriété des génies et des ancêtres, réceptacle des pouvoirs mystiques, sa manipulation fait l’objet de divers interdits: ne pas verser de la bière de mil sur l’instrument, ne pas l’enjamber, ne pas le porter sur la tête d’un homme, entre autres. Le mythe du musicien: en contact permanent avec les génies, le musicien est l’intermédiaire entre les membres de la société et les génies lors des funérailles d’un défunt. Pour ce faire, il est craint par la communauté. L’impact des mythes et interdits dans la gestion et
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